Petits contes au coin du feu
Frau Holle
­Comme vous le savez, il y a très longtemps, les contes étaient racontés par les grand-mères à leurs petits enfants. On les nommait alors des contes de grand-mère, et chacune avait sa version qu'elle transmettait aux générations suivantes. Et puis, quelques messieurs ont décidé un jour de mettre tous ces contes par écrit. Ils sont donc allés trouver les grands-mères pour leur demander de raconter les histoires, et en publièrent quelques livres.
­Ce fut un quelque chose de bien, car désormais, ces contes, qui n'étaient jusque là conservés que dans les mémoires, se trouvaient mis sur papier, et on était assuré de les voir survivre au passage du temps. Mais ce fut également quelque chose de moins bien, car désormais, une seule version s'imposait par dessus toutes les autres: celle de l'auteur du livre. Ce n'était pas forcément la pire, mais ce n'était pas forcément la meilleure non plus: c'était une version parmi les autres.
­C'est ainsi qu'en France, parce que notre collecteur de contes à nous s'appelait Charles Perrault, nos contes de grand-mère sont devenus les contes de Perrault. En Allemagne, ce sont les Frères Grimm qui ont collecté tous les contes, et ils sont devenus les contes de Grimm. Et comme Charles Perrault et les frères Grimm ne connaissaient pas les mêmes grands-mères, ils n'ont pas noté dans leurs livres exactement les mêmes histoires.
­Le conte que je vais vous dire à présent vient du livre des Frères Grimm. Mais comme je ne suis ni l'un des frères Grimm, ni la grand-mère qui leur a raconté cette histoire, je ne vous raconterai pas cette histoire à la manière des frères Grimm, mais je vous raconterai la version que ma grand-mère aurait pu me raconter. Si vous avez vous-même à la raconter à quelqu'un d'autre, ne la reprennez pas telle que moi je vous la raconte, mais comme votre grand-mère aurait pu vous la raconter, car c'est ainsi que vivent les contes.
­Voici l'histoire de Frau Holle, "Frau" étant le mot allemand pour "Madame".

­Il était une fois une petite fille très gentille, et très belle. Elle vivait chez sa belle-mère, avec sa demi-soeur qui était, elle, très méchante, pas belle du tout, et surtout très paresseuse. Et comme la belle-mère était jalouse que sa fille à elle soit moins belle que l'autre, c'était la petite fille très gentille et très belle qui devait tout faire à la maison. C'est elle qui faisait la vaisselle. C'est elle qui faisait le ménage. C'est elle qui faisait la couture.
­C'était il y a très longtemps, et les machines pour faire la couture n'étaient pas aussi bien faites qu'aujourd'hui. En fait, elles étaient très dangereuses, avec plein d'aiguilles partout, et un jour, en faisant la couture, la petite fille très gentille et très belle s'est piqué le doigt avec une des aiguilles, et s'est mise à saigner, à beaucoup saigner.
­Elle est donc sortie en courant de la maison, pour aller jusqu'à la fontaine, et a trempé son doigt dans l'eau fraiche pour qu'il arrête de saigner. Et là, la petite fille très gentille et très belle est tombée en avant, et à été aspirée dans l'eau de la fontaine. Elle s'est retrouvée au centre d'une grande prairie toute verte, avec au dessus de sa tête un très beau ciel tout bleu et un grand soleil qui brillait.
­La petite fille très gentille et très belle a commencé à marcher dans la prairie. Et elle est arrivée jusque devant un grand pommier, qui était tout plein de pommes. Il était tellement plein de pommes que toutes ses branches pliaient vers le sol, et que le pauvre pommier ressemblait à un saule pleureur.
­Alors quand il a vu la petite fille très gentille et très belle arriver, le pommier lui a crié S'il te plait! Secoue-moi! Secoue-moi, pour que mes pommes tombent et que ce soit moins lourd à porter! Et la petite fille, qui était très gentille et très belle, prit le tronc du pommier à deux mains, et le secoua, secoua, jusqu'à ce que toutes les pommes tombent. Le pommier était très content, et toutes ses branches sont remontées vers le ciel. Il a remercié la petite fille, et celle-ci a continué son chemin.
­La petite fille très gentille et très belle est arrivée ensuite devant un grand four de boulanger, vous savez, avec une très grande ouverture et plein de pains qui cuisent à l'intérieur, et aussi une grande pelle de boulanger posée sur le côté. Et quand ils ont vu la petite fille très gentille et très belle arriver, tous les pains qui étaient dans le four lui ont crié S'il te plait! Sors-nous de là! Sors-nous de là, car nous allons être trop cuits!
­Et la petite fille, car elle était très gentille et très belle, prit la grande pelle de boulanger et la plongea dans le four, pour sortir tous les pains avant qu'ils ne soient trop cuits. Et tous les pains l'ont beaucoup remercié, et la petite fille très gentille et très belle a continué son chemin dans la prairie.
­Elle est arrivée ensuite jusque devant une très grande et très belle maison, et devant la porte de la maison, il y avait une très vieille femme qui la regardait, assise dans son fauteuil. Et quand elle a vu la petite fille très gentille et très belle approcher, la vielle dame lui a dit Bonjour, petite fille. Je suis Frau Holle, et je voudrais te demander un service. Vois-tu, je suis très vieille, et j'ai du mal à me déplacer, aussi je voudrais que tu m'aides à nettoyer ma maison. Et la petite fille, comme elle était très gentille et très belle, accepta d'aider Frau Holle à nettoyer sa maison.
­Elle est entrée dans la grande et belle maison et a commencé à tout nettoyer, et pendant qu'elle nettoyait, c'était l'hiver chez nous. Et à chaque fois que la petite fille secouait un drap du lit ou une des belles robes de Frau Holle, à chaque fois que de la poussière en tombait, c'est de la neige qui tombait chez nous.
­Quand la petite fille eut finit de tout nettoyer, elle est revenue voir Frau Holle, et lui a dit Ça y est, j'ai tout nettoyé dans ta maison.
C'est bien, ma petite. Maintenant écoute-moi: tu vas retourner d'où tu viens. Tu vas retourner au centre de la prairie, là où tu es arrivée, et là, tu recevra ta récompense et tu rentreras chez toi.
Et la petite fille très gentille et très belle fit ce que Frau Holle lui avait demandé. Quand elle arriva au centre de la prairie, un beau nuage tout doré s'est formé au dessus de sa tête, et une pluie d'or s'est mise à tomber, et la petite fille a été entrainée avec la pluie d'or, et s'est retrouvée dans la fontaine, à côté de chez elle.
­Elle a alors remarqué que la pluie avait laissé des traces dorées sur elle, et quand elle s'est secouée, tout l'or est tombé, et elle a pu le récupérer. Elle a couru jusqu'à chez elle, en emportant tout l'or, et a tout raconté à sa belle-mère et à sa demi-soeur.
­Mais la demi-soeur, qui, vous vous souvenez, était très méchante, très paresseuse et pas jolie du tout, la demi-soeur s'est dit Je vais faire pareil. Je vais aller voir Frau Holle, et je vais ramener encore plus d'or, comme ça, on sera encore plus riche.
­Et la petite fille très méchante, très paresseuse et pas jolie du tout a prit une aiguille et s'est volontairement piqué le doigt, puis elle a couru jusqu'à la fontaine pour tremper son doigt dans l'eau. Et elle aussi, elle est tombée en avant, et a été aspirée pour se retrouver dans la grande prairie toute verte, avec le beau ciel tout bleu et le grand soleil.
­Elle a commencé à marcher, et elle est arrivée devant le grand pommier, qui était de nouveau tout couvert de pommes. Et quand il a vu la petite fille très méchante, très paresseuse et pas jolie du tout, le pommier lui a crié S'il te plait! Secoue-moi! Secoue-moi, pour que mes pommes tombent et que ce soit moins lourd à porter! Mais la petite fille lui a répondu Pas question! Et si je prennais une pomme sur la tête ? Je ne veux pas me faire mal! Et elle a continué son chemin, sans se préoccuper du pauvre pommier.
­Elle est arrivée devant le grand four de boulanger, avec la grande pelle de boulanger posée à côté. Et quand elle est passée près du grand four de boulanger, tous les pains à l'intérieur lui ont crié S'il te plait! Sors-nous de là! Sors-nous de là, car nous allons être trop cuits!. Mais la petite fille très méchante, très parresseuse et pas jolie du tout a répondu Pas question! Vous savez comme c'est sale, un four de boulanger? Je ne veux pas me salir! Et elle a continué son chemin en laissant les pains brûler dans le four.
­Et puis, la petite fille très méchante, très paresseuse et pas jolie du tout est arrivée devant la grande maison de Frau Holle, et s'est approché de la vieille dame qui était assise dans son fauteuil devant la porte. Et la vieille dame lui a dit Bonjour, petite fille. Je suis Frau Holle, et je voudrais te demander un service. Vois-tu, je suis très vieille, et j'ai du mal à me déplacer, aussi je voudrais que tu m'aides à nettoyer ma maison.
­Et là, la petite fille, qui était très paresseuse et n'avait pas du tout l'intention d'aide Frau Holle, a quand même répondu qu'elle allait le faire, car elle savait que c'était Frau Holle qui avait donné la récompense à l'autre petite fille, celle qui était très gentille et très belle, et qu'il fallait donc faire semblant de faire le travail. Mais comme Frau Holle était très vieille et ne pouvait plus se déplacer, quand elle est entrée dans la maison, la petite fille très méchante et pas jolie du tout n'a rien nettoyé. Elle pensait De toute façon, ça ne lui sert à rien: elle reste tout le temps devant sa porte et n'y rentre jamais, dans sa maison. Je ne vois pas pourquoi je me fatiguerait à la lui nettoyer. Et comme elle n'a secoué aucun drap, ni aucun vêtement, cet hiver-là, chez nous, il n'a pas neigé du tout.
­Et puis, au bout d'un certain temps, le temps qui lui aurait fallu pour nettoyer la maison si elle avait respecté sa parole, la petite fille très méchante, très paresseuse et pas jolie du tout est retournée trouver Frau Holle et lui a dit Ça y est, j'ai tout nettoyé dans ta maison. Et maintenant, je voudrais avoir ma récompense et pouvoir rentrer chez moi.
­Mais Frau Holle n'avait pas besoin de se lever et d'aller voir dans la maison pour savoir que la petite fille n'y avait rien fait du tout. Elle le savait très bien, comme elle savait aussi que la petite fille n'avait pas voulu secouer le pommier, ni sortir les pains du four. Alors elle lui a répondu Tu vas retourner d'où tu viens. Tu vas retourner au centre de la prairie. Là, tu vas pouvoir retourner chez toi, et recevoir la récompense que tu as mérité.
­Et la petite fille est retournée au centre de la prairie, et quand elle y est arrivée, un gros nuage s'est formé au dessus de sa tête, mais cette fois, c'était un nuage tout noir, comme quand il y a de l'orage. Et la pluie qui est tombée sur la petite fille était toute collante et très désagréable. Et quand elle s'est retrouvée dans la fontaine, la petite fille très méchante, très paresseuse et pas jolie du tout s'est apperçue qu'elle était toute salle et a voulu se laver, mais la saleté collait à sa peau, et elle n'a jamais pu la nettoyer.
­Et c'était bien fait pour elle.
le Tailleur de Pierre
­C'est l'histoire d'un Tailleur de Pierre, qui chaque jour en travaillant voyait passer sur la route de riches marchands qui lui semblaient beaucoup plus puissants que lui. Et ce Tailleur de Pierre était jaloux d'eux et voulait devenir bien plus puissant qu'ils ne l'étaient. Or, il se trouve que ce Tailleur de Pierre comptait parmi ses amis un génie. Il alla donc trouver celui-ci et lui demanda de le rendre riche, très riche, et le génie accepta. Le Tailleur de Pierre devint donc l'un des hommes les plus riches de tout le royaume.
­Mais si riche qu'il fut, il devait toujours payer sa taxe au Roi, et il compris que la richesse ne lui permettrait jamais d'être aussi puissant qu'il le voudrait. Il retourna donc voir le génie et lui demanda de faire de lui un Empereur, un Roi au dessus de tous les Rois qui existaient. Et le génie, une fois encore, accepta.
­Mais un jour qu'il se promenait dans un de ses jardins (car en tant qu'Empereur, il disposait d'un immense palais entouré de jardins magnifiques), il se prit à penser qu'il n'était pas encore aussi puissant qu'il le voudrait. Le Soleil était particulièrement brûlant ce jour-là, et cet homme pensa que rien ne serait jamais plus puissant que lui s'il devenait le Soleil lui-même. Il fit donc venir à lui le génie, et le pria de le changer en Soleil. Et le génie, sans rien répondre, fit de lui le Soleil.
­Les premiers jours, l'ancien Tailleur de Pierre fut pleinement contente de son sort. Il voyait s'étaler toute la terre devant lui, les plantes poussaient par la seule force de ses rayons, et même les plus terribles animaux de nuit, que rien jusqu'alors ne semblait effrayer, lui paraissaient craindre son regard brûlant. Mais vint un jour que le temps tourna à l'orage. Le ciel se couvrit de noirs nuages, cachant le monde à son regard. Et notre homme, devenu Soleil, pensa que ces gros nuages qu'il observait en rêvant quelques temps plus tôt étaient terriblement puissants, car ils avaient le pouvoir de faire disparaitre la lumière du Soleil. Il appela donc le génie et le supplia de remettre l'ancien Soleil à sa place et de le faire Nuage. Et le génie, une fois de plus, fit ce qu'il lui avait demandé.
­Le Tailleur de Pierre était donc maintenant un nuage, qui allait dans le ciel à son gré, se laissant porter par les vents. Quand l'envie lui en prenait, il n'était qu'une forme blanchâtre que les enfants venaient observer en riant. D'autres fois, il était un épais brouillard gris, et les gens qu'il prenait alors dans ses filets se perdaient et l'imploraient de les laisser retrouver leur chemin. Et quand il était en colère, il devenait le plus noir des Nuages, voilant le Soleil, déversant sur la terre des trombes d'eau et parfois même déclenchant la Foudre. Mais il remarqua au cours d'une de ces crises que l'eau qu'il envoyait n'ébranlait jamais la Montagne, et que les plus gros rochers lui résistaient sans effort. Il choisit donc les vents qui le ramenèrent au pays où il vivait autrfois, jusque dans la demeure du génie, et le pria de lui faire quitter sa condition de Nuage et de faire de lui un de ces rochers que rien, pas même la colère du ciel, ne semblait pouvoir venir déranger.
­Et le génie, toujours sans dire un mot, fit de lui un Rocher qu'il transporta au sommet d'une falaise, d'où il pouvait dominer toute la mer et se croire invulnérable.
­Mais peu de temps s'était écoulé depuis cette dernière transformation qu'un homme arriva près du Rocher, des outils à la main, et commença à le frapper pour le réduire en morceau. Aussitôt, le Rocher pensa Cet homme est capable de me briser, alors que même la fureur du ciel ne le peut! Il est assurément aussi puissant que je voudrais l'être!
­Et à peine eut-il pensé celà que le génie fut là, car il savait depuis le début comment se finirait l'histoire et qu'il était resté à proximité. Il fit du Rocher un homme, pareil à celui qui venait de l'attaquer, et cette fois s'adressa à lui. Et qu'as-tu appris? Tu as voulu chaque fois être plus puissant que tu n'étais, et tu es redevenu ce que tu étais au départ: un Tailleur de Pierre. Contentes-toi désormais de ce que tu es.
­Et le génie et le Tailleurs de Pierre restèrent bons amis, mais le second décida désormais de se contenter de ce qu'il était et ne demanda plus jamais de faveurs au premier.
Les Deux bossus
­Bosse à part, car il était bossu, outrageusement bossu, quel brave et beau garçon c’était, ce Corentin Guégo ! Et par dessus tout, il était excellent au violon, si brillant qu'il était renommé partout dans la région, et qu'on était prêt à payer en or pour qu'il vienne jouer durant les fêtes.
­Ce jour là, on l'avait appelé pour célébrer un mariage, et toute la journée, depuis que l'on avait lancé le riz sur les mariés, il n'avait cessé de jouer que de temps à autres pour se désaltérer. Mais il était si bon et l'on craignait tant qu'il s'épuise, que ce n'était pas de l'eau qu'on avait servi dans ses verres, mais du vin, du bon vin qui lui donnait la force et l'audace de continuer à jouer.
­Mais le Soleil avait disparu depuis longtemps derrière l'horizon, et Correntin devait pour rentrer chez lui traverser toute la Lande. Ce n'était pas qu'il craignait une attaque de brigands, oh non! Il était assez fort pour se défendre, et qui aurait donc voulu s'en prendre à un pauvre bossu? Mais la Lande était le domaine des Korrigans, et on dit qu'ils n'appréciaient rien tant que de jouer des tours aux imprudents voyageurs nocturnes.
­On lui proposa bien de rester toute la nuit et de repartir reposé le lendemain, sous la pleine lumière du jour, mais rien à faire, Correntin rentrerait chez lui.
­On le chargea donc d'une bourse pour sa magnifique prestation, on lui confia un bon bâton de marche qui pourrait lui servir de gourdin au cas où, et on lui conseilla de se hâter pour atteindre son village avant minuit, l'heure des Korrigans. Ce qu'il n'aurait bien sur pas manqué de faire en temps normal.
­Mais cette nuit-là, la fatigue -il avait joué dans plus de bals la semaine passé qu'il ne lui arrivait ordinairement en un mois entier- prit le pas sur la prudence, et, le sentiment de sécurité que lui procurait l'excès de vin aidant, il décida de s'arrêter un moment et de s'asseoir sur un rocher qui dépassait là, pour se reposer un peu. Il advint bien sur ce qui ne manque pas d'arriver en pareil cas: coupé dans son effort, il n'eut pas la force de se lever pour repartir.
­Lorsqu'il ouvrit les yeux, les dernières lueurs du soleil, d'un côté, et de la fête qu'il quitait, de l'autre, avaient disparu. Il se leva en regardant le ciel Ma foi, j'ai du m'assoupir un moment... C'est alors que résonna, dans le lointain, le son d'un clocher. Dix, onze, douze coups. Minuit!
­Il allait repartir, lorsqu'il vit s'approcher de lui une foule d'ombre dansantes et chantantes: les korrigans. Mais les petits bonshommes dansais et chantaient sans aucune musique pour les accompagner, et lorsqu'ils apperçurent Correntin, leur attention fut immédiatement attiré par l'étui à violon qu'il n'avait pas eu le temps de récupérer.
­Hey, l'homme!, s'écria l'un des Korrigans, Connais-tu notre chanson?
Si je la connais? Mais n'est-ce pas mon métier que de les connaître toutes?
Oh, bien, bien, alors tu joueras pour nous accompagner et nous pourrons danser en musique.
Avec plaisir, et d'ailleurs ça me réchauffera
On était, en effet, au tout début de l'hiver et le pauvre Correntin, perché sur son rocher depuis des heures, commençait à grelotter.
­Ainsi soit-il, donc, et si nous sommes contents de toi, je te promet une récompense!
­Et Correntin, plus intéressé, je me plait à le croire, par la musique et par le bon accueil des korrigans que par la récompense promise, sortit promptement son violon, et, parfaitement réveillé à présent, se mit à en jouer.
­Et il joua longtemps, s'enhardissant même jusqu'à danser comme eux en même temps qu'il maniait son archer, menant la danse si bien que jusqu'à ce que le soleil pointe parresseusement son nez à l'autre bout de la pleine, il sembla être le maître des korrigans de la lande.
­Il était cependant plus fatigué qu'il n'aurait voulu le laisser parraître, et regarda le soleil se lever avec joie. Celui des Korrigans qui l'avait interrogé le premier s'inclina devant lui et dit Fort bien, monsieur l'humain, tu as tenu ta part du marché, et nous tiendrons la nôtre. Alors, mon ami, que veux-tu pour ta récompense? Fortune ou Beauté?
­Correntin réfléchit un instant. Il aurait pu demander de l'argent, mais pourquoi donc? Ses gouts était modestes, et son talent lui rapportait déja bien assez chez les hommes pour qu'il considère avoir besoin de réclammer aux Korrigans -la bourse qui pendait à sa ceinture le lui confirmait. Tandis que la beauté...
­Il avait, dans son village, une charmante amie du nom de Perrine, et c'était pour lui, il faut le dire, bien plus qu'une amie. Elle non plus ne le trouvait pas déplaisant, mais il y avait, hélas! encore et toujours sa difformité. Perrine n'épouserait jamais un bossu. Ah, Correntin, lui disait-elle, Quel dommage que tu ne sois pas plus droit!
­Songer l'entendre dire cette phrase le décida tout à fait. Il posa sa main sur sa bosse et dit au Korrigan La fortune, je vous la laisse, et la beauté, la mienne me suffirait, si vous pouviez simplement m'ôter ce poids des épaules.
Nous le pouvons. Regagne ta maison, à présent, et Adieu l'ami! Le soleil revient, ta bosse fondra en route.

­Il n'eut qu'à peine le temps de les remercier chaleureusement: le soleil embrasait le ciel et les korrigans se dispersèrent comme la fumée au vent.
­Il arrivait à sa porte lorsque son voisin Pennzec, qui venait d'ouvrir la sienne, s'écria Helà, Cuégo! Qu'as-tu fait de ta bosse?
­Correntin, qui avait marché jusque là sans vérifier les dires des korrigans, tâta instinctivement son dos pour s'écrier Ma parole, c'est bien vrai! Elle n'y est plus!
Ça non, elle n'y est plus. Cuégo, droit comme un mat! Tu ne l'auras pas vendu contre ton âme, au moins?
Ah, ça jamais, Voisin! J'aurais préféré la garder toute ma vie que de la perdre à ce prix-là!
Alors comment?

­Et Correntin lui conta toute l'histoire, songeant peut-être qu'il lui faudrait un jour trouver une musique pour la raconter plus agréablement encore.
­Mais alors que Correntin s'éloignait pour aller rencontrer Perrine, Pennzec murmura pour lui-même Imbécile! Comme si la fortune n'aurait pas suffit à faire oublier le reste! Il y réfléchit toute la journée, enfermé dans sa maison tandis que tout le reste du village se racontait l'histoire de la bosse disparue.
­Lorsque la nuit fut tombé, Pennzec avait prit sa décision. Non sans s'être préparé, car il était plus vieux et moins résistant que Correntin, il partit pour la lande, persuadé de pouvoir faire aussi bien que l'ancien bossu.
­A minuit précise, les korrigans firent leur apparition. Pennzec ne connaissait pas le violon, mais il avait amené son biniou, et quand ils lui proposèrent le même marché, il accepta enthousiaste.
­Hélas! Ce ne furent pas l'accueil et la musique qui le firent tenir, lui, mais bien l'espoir de la récompense. Et il était, je vous prie de le croire, plus mort que vif lorsque le soleil daigna enfin pointer le bout de ses rayons pour le relever de sa tâche.
­Fort bien, monsieur l'humain, tu as tenu ta part du marché, même si tes intentions n'étaient pas les plus nobles, et nous tiendrons donc la nôtre. Que veux-tu donc? Fortune ou Beauté? Pennzec répondit sans hésiter.
­Donnez-moi, dit-il, ce dont Cuégo n'a pas voulu.
Tu l’as. Grand bien te fasse. Adieu.

­Il croyait avoir la fortune, et ce fut la bosse qu’il eut.
Le Joueur de Pipeau
­Le soir tombait sur la campagne lorsque l'Etranger se présenta à la porte de la ferme. Il portait un grand manteau vert dont la capuche, rabaissée, dévoilait de longs cheveux bruns et un visage aussi pâle que la mort. Il demanda d'une voix douce et harmonieuse le repas et le lit de paille que l'on doit, comme le veut la coutûme, au voyageur fatigué. Le fermier le regarda d'un air las.
­Pour le lit, Voyageur, la grange vous est ouverte. Je crains cependant que vous n'y trouviez que peu de paille pour rendre le sol confortable, et quant au repas, je peine assez à nourir ma propre famille pour pouvoir servir un repas de plus, coutûme ou pas.
­Le Voyageur plongea son regard d'azur dans celui du fermier. Quel Fléau vous accable donc pour que vous manquiez à ce point ? J'ai traversé vos champs en venant jusqu'ici: ils sont vastes et le blé abonde, au reste le Soleil a brillé de tous ses feux durant l'année écoulée, les récoltes auraient dû être colossales.
Hélas! Elles l'ont été, Voyageur. Depuis toujours, cette valée donne plus de nourriture qu'il n'en faut pour nourir tous ses hommes. Mais comme vous l'avez dit, un Fléau nous accable. Un Fléau fait de rats.
Des rats ?
Des milliers de rats qui rongent tout. La région en est envahie. Ils ne laissent que très peu de nourriture aux hommes, et si nous autres adultes parvennons à survivre tant bien que mal, nos enfants ne voient que très rarement s'écouler plus d'un an après avoir cessé de têter leur mère.

­De la bouche du Voyageur s'éleva bientôt un rire cristallin, qui réchauffa inexplicablement le coeur du fermier. Qu'importe, j'ai quelques provisions de route, et bien qu'il y ait peu, nous partagerons nos pitances. Demain, vous me mènerez jusqu'au village: je pense pouvoir faire quelque chose pour vous soulager de ce fléau.
­Son visage était mystérieux, et s'il se montra un conteur habile tout au long de sa soirée, qui fit oublier à ses hôtes la faim qui leur serrait le ventre, on n'apprit rien de plus concernant l'aide qu'il pensait leur apporter.

­Le lendemain, le fermier le mena jusqu'au village. pour la première fois depuis bien longtemps, le Soleil n'était pas maître du ciel, et la brume courait dans les rues. Alors que l'Astre du Jour atteignait le point le plus haut de sa céleste course, le Voyageur, debout au centre de la Grand'Place, ouvrit son sac et en sortit un pipeau magnifique. Il ne semblait pas peint, et pourtant le bois dont il était fait était décoré de motifs étranges. Le Voyageur porta l'instrument à ses lèvres, et aussitôt un son étrange s'éleva dans les airs. La mélodie était douce et envoûtante, et les hommes virent avec stupeur les rats, tous les rats qui depuis tant de temps les tourmentaient, cesser aussitôt de ronger leurs réserves pour venir se grouper autour du Musicien. Celui-ci commença soudain à marcher vers la forêt, et tous les rats, aussitôt, le suivirent. Tant qu'ils marchait et qu'il jouait, les rats l'accompagnaient, s'éloignant peu à peu du village et des hommes, et lorsqu'on ne les vit plus, ni lui, ni eux, on comprit que le Fléau avait cessé.
­Au crépuscule, le village résonnait des échos de la fête qui fut donné en l'honneur du musicien. Loué soit le Joueur de Pipeau! pouvait-on entendre sur toutes les lèvres. Et puis, quelqu'un, je ne sais trop qui (peut-être le fermier qui l'avait acceuilli et qui seul, par la suite, prit sa défense), suggéra que l'on pourrait lui offrir une récompense, s'il revenait.
­A cette proposition, l'ivresse s'évanouit aussi promprement que les rats. Une récompense. Mais laquelle serait assez grande pour rembourser un tel miracle ? Cela fit le tour du village, et à la fin, il sembla à tous que le Voyageur allait lui-même réclammer un prix exorbitant pour ses services. Un conseil fut tenu jusque tard dans la nuit. De sauveur, le Joueur de Pipeau était devenu sorcier, et il sembla à tous qu'il fallait le chasser rapidement, avant qu'il ne devienne un tourment pire que les rats.
­Et voici qu'au jour suivant, dès l'aurore, tous les hommes du village se tenaient à ses portes, armés de pierres et de bâtons, prêts à rosser le Musicien lorsqu'il se présenterait pour réclammer son dû. Il se trouve qu'il revint, en effet, mais qu'il s'arrêta à distance raisonnable en voyant que l'accueil ne serait pas chalereux.
­Qu'avez-vous, leur dit-il, à m'attendre tous comme si j'étais le pire de vos ennemis ? Ne viens-je pas de vous libérer d'un mal qui vous frappait depuis tant de temps ?
Nous ne voulons pas de sorciers parmi nous! Ne comptez pas sur nous pour vous livrer autant que nous prennaient les rats, nous l'avons désormais, nous le gardons!
Je ne vous avais rien demandé et n'espérait en retour de mon geste qu'un peu de repos et de nourriture avant de reprendre ma route. Mais si c'est votre manière de remercier ceux qui vous viennent en aide, qu'il en soit ainsi. Je vous laisse à vos fortunes retrouvées. Sachez cependant que vous avez désormais une dette envers moi, et que vous la payerez un jour ou l'autre.

­Et il s'en fut. Les hommes se regardèrent. Qu'y avait-il à craindre de lui, hormis qu'il leur ramène les rats ? D'ailleurs, ils pourraient peut-être, cette fois, les chasser avant qu'ils ne se réinstallent.

­Le temps s'écoula. On oubliait peu à peu la famine et le malheur. Les enfants de mourraient plus, au contraire ils étaient nombreux et vaillants, assurant un bel avenir au village. Et puis, à l'anniversaire du jour où les rats quittèrent le village, la brume revint. Une silhouette vêtue d'un long manteau rouge fut aperçue plusieurs fois dans les ruelles, et puis, a l'heure où le soleil était au plus haut, on la vit debout sur la colline surplombant le village. Il retira sa capuche, dévoilant le visage livide du Musicien, dont les longs cheveux flottaient au vent. Il parla, et le vent porta sa voix aux oreilles de tous. Elle était toujours aussi mélodieuse, mais le ton était dur et sévère.
­Je vous ai apporté mon aide, et vous me l'avez rendu en menaces de coups. A mon tour à présent de vous présenter une menace: Ces jeunes vies que je vois devant moi, et qui sans mon intervention seraient promises à la mort, vous devez leur dire adieu. Car avant que le prochain soleil ne se lève, je les emmènerais avec moi vers un lieu où l'on apprend aux enfants d'être bon et généreux envers les voyageurs, et non de les chasser lorsqu'ils vous viennent en aide. Tel sera le prix que vous m'avez refusé sans que je ne vous le demande.
­Il disparut, et lorsque l'on arriva sur place, on ne le trouva plus. Le soir, les hommes inquiets enfermèrent tous leurs enfants à double tour et veillèrent, prêt à assomer le Joueur de Pipeau s'il se présenait devant leur porte.
­Mais lorsque la Pleine Lune atteignait le point le plus haut de sa céleste course et que la fatigue et le sommeil venaient à bout de leur vigilance, le son du pipeau s'éleva de nouveau dans les airs. Aussitôt les portes closes s'ouvrirent d'elles-mêmes, et les enfants, en habits de nuits et les yeux clos, se mirent tous à marcher dans la direction d'où venait la musique. Au petit jour, ils avaient tous disparu, et nul ne les revit plus jamais.

­Ce conte est tiré de celui du Joueur de Flûte de Hamelin. Selon les versions, une récompense pouvait avoir été véritablement promise au Musicien, et on indique la plupart du temps que les enfants, comme les rats, furent amenés jusqu'à la rivière et noyés, ou bien enfermés dans une grotte qui se referma derrière eux. Toutes les versions que je connais s'accordent cependant sur le fait que personne n'assiste à la scène et que les corps ne sont jamais retrouvés. A vous de voir...
Le Petit Arbre
­C'était un tout, tout petit arbre, qui poussait dans une grande forêt. Mais ce petit arbre était très triste, parce qu'il ne voyait autour de lui que de très grands arbres avec un feuillage magnifique, alors que lui n'avait pas la moindre petite feuille. Et tous les grands arbres autour de lui le regardaient en riant et lui criaient
­Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu!
­Et le pauvre petit arbre était très malheureux et pleurait énormément.

­Mais un soir, une petite fée qui passait par là l'entendit pleurer et s'approcha. Petit arbre, pourquoi pleures-tu ?
Je pleure parce que je n'ai pas de feuilles et que tous les grands arbres se moquent de moi...
Je vois. Alors écoute bien: tu vas sécher tes larmes, tu vas t'endormir sagement, et demain, quand tu te réveilleras, tu auras de belles feuilles faites de verre transparent. D'accord ?

­Et tout se passa comme la petite fée l'avait dit. Le lendemain matin, le petit arbre se réveilla et découvrit sur ses branches un beau feuillage transparent, de feuilles de verres taillées justes comme il faut. Et il fut content.
­Seulement, ce jour-là, un terrible orage s'est abattu sur la forêt, et dans le vent et les éclairs, les belles feuilles de verre transparent furent arrachés aux branches du petit arbre, et allèrent se briser au sol. Et quand le beau temps revint, le petit arbre était entouré de verre brisé et n'avait plus aucune feuille. Et tous les grands arbres autour de lui le regardaient en riant et lui criaient
­Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu!
­Et le pauvre petit arbre se remit à pleurer.

­Et voilà que le soir, la petite fée, qui repassait aux nouvelles, entendit les pleurs du petit arbre. Et lorsqu'elle s'approcha, elle vit tout le verre brisé autour de lui, et elle comprit ce qui s'était passé. Elle s'approcha du petit arbre et lui dit Ecoute bien, petit arbre: tu vas sécher tes larmes, tu vas t'endormir sagement, et demain, quand tu te réveilleras, tu auras de très belles feuilles toutes brillantes et toutes dorées. D'accord ?
­Et tout se passa comme la petite fée l'avait dit. Le lendemain matin, le petit arbre se réveilla et découvrit sur ses branches un beau feuillage tout doré, qui brillait tout autour. Et il fut très content.
­Seulement, ce jour-là, une famille de chasseurs chassaient dans la forêt, et ils virent quelque chose briller au loin. Etonnés, ils s'approchèrent, et quand ils virent les belles feuilles du petit arbre, ils s'écrièrent De l'Or! et coururent arracher toutes les feuilles du petit arbre. [ce qu'ils ne savaient pas, c'est que le véritable or ne brille pas...] Et quand les chasseurs s'en allèrent, après avoir piétiné toutes les petites plantes qui poussaient aux pied du petit arbre, celui-ci n'avait plus aucune feuille. Et tous les grands arbres autour de lui le regardaient en riant et lui criaient
­Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu!
­Et le pauvre petit arbre se remit à pleurer.

­Et voilà que le soir, la petite fée, qui repassait aux nouvelles, entendit les pleurs du petit arbre. Et lorsqu'elle s'approcha, elle vit les grosses traces de bottes des chasseurs, et elle comprit ce qui s'était passé. Elle s'approcha du petit arbre et lui dit Ecoute bien, petit arbre: tu vas sécher tes larmes, tu vas t'endormir sagement, et demain, quand tu te réveilleras, tu auras de très, très belles feuilles toutes fines, du vert le plus clair et le plus beau. D'accord ?
­Et tout se passa comme la petite fée l'avait dit. Le lendemain matin, le petit arbre se réveilla et découvrit sur ses branches un beau feuillage tout fin et d'un très beau vert clair. Et il fut très, très content.
­Seulement, ce jour-là, un cerf, sa biche et leur petit faon se prommenaient dans la forêt, et quand ils virent le beau feuillage du petit arbre, ils ne purent résister, et s'approchèrent pour le manger. Et ils ne s'en allèrent pas avant d'avoir mangé toutes les feuilles du petit arbre. Et tous les grands arbres autour de lui le regardaient en riant et lui criaient
­Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu! Oh, il est tout nu!
­Et le pauvre petit arbre se remit à pleurer.

­Et voilà que le soir, la petite fée, qui repassait aux nouvelles, entendit les pleurs du petit arbre. Et lorsqu'elle s'approcha, elle vit les traces laissées par les pieds des cerfs dans la terre, et aussi les marques de dent sur l'écorce du petit arbre, et quelques poils qu'ils avaient laissé là en se frottant contre lui, et elle comprit ce qui s'était passé. Elle poussa un long soupir, s'approcha du petit arbre et lui dit D'accord, alors voilà ce qui va se passer, petit arbre: tu vas sécher tes larmes, tu vas t'endormir sagement, et demain, quand tu te réveilleras, tu auras de nouvelles feuilles, épaisses et d'un beau vert sombre, et pleines de piquants.
­Et tout se passa, une fois encore, comme la petite fée l'avait dit. Le lendemain matin, le petit arbre se réveilla et découvrit sur ses branches le feuillage promis. Et cette fois, plus rien ni plus personne ne put venir lui prendre ces feuilles-là, et il s'y attacha même tellement qu'en Automne et en Hiver, alors que tous les grands arbres changent de couleur et perdent leurs feuilles à eux, le petit arbre garde les siennes intacts. Et c'est alors lui qui les regarde en riant et qui leur crie
­Oh, vous êtes tout nu! Oh, vous êtes tout nu! Oh, vous êtes tout nu!

­Et ce petit arbre aux feuilles épaisses, vertes sombres et couvertes de piquant, les hommes l'ont appelé... le houx!
­
Illustration: Feuille de houx

Epaminondas
­L'histoire que je vais vous raconter se passe très loin d'ici, en Afrique, là où le soleil brille toute l'année, où les hommes vivent dans des maisons de terre aux toits depailles, et où l'herbe pousse si haut que les petits enfants peuvent se cacher dedans. C'est l'histoire d'un petit garçon que sa mère avait nommé Epaminondas, du nom d'un célèbre général grec qui vivait il y a très longtemps.
­Epaminondas était un très beau petit garçon, qui adorait sa mère et que sa mère adorait, et qui allait régulièrement rendre visite à sa marraine qui habitait dans le village voisin.

­Un jour, alors qu'il allait repartir de chez elle, sa marraine voulut lui offrir un cadeau.
­Voilà un beau gâteau que j'ai fait aujourd'hui, et que tu vas ramener chez toi.
Merci Marraine Ba! Je vais le mettre dans mon sac!
Ce n'est pas une bonne idée, Epaminondas. Pendant que tu rentreras chez toi, ton sac va surement beaucoup bouger, et le gâteau va s'abimer. Il vaut mieux que tu le tiennes bien serré dans ta main.
D'accord, Marraine Ba, je ferais comme tu m'as dit.

­Et Epaminondas rentra chez lui en tenant, comme sa marraine le lui avait dit, le gâteau dans sa main, et en le serrant de toutes ses forces. Mais ces doigts creusèrent des trous dans le gâteau, la crème coula sur ses doigts, et tout au long du chemin, des morceaux et des miettes de gâteaux tombaient au sol.
­Lorsqu'il arriva chez lui, le beau gâteau tout doré n'était plus qu'une bouillie brune, et les mains d'Epaminondas étaient toutes sales. Et lorsqu'il tendit le gâteau à sa mère, celle-ci s'écrilla en écarquillant les yeux
­Epaminondas, que m'apportes-tu là?
C'est un bon gâteau que Marraine Ba m'a offert!
Epaminondas, Epaminondas! Qu'as-tu fait du bon sens que je t'avais donné à ta naissance? Pour bien porter un gâteau, tu dois l'envelopper dans du papier fin, le mettre dans ton chapeau, et poser le chapeau sur ta tête. Tu as bien compris?
Oui maman.


­Epaminondas retourna peu après chez sa marraine. Ce jour-là, il faisait chaud, très chaud, si chaud que les feuilles du Baobab pendaient tristement, et que les gens restaient bien à l'ombre de leurs maisons.
­Lorsqu'Epaminondas raconta à Marraine Ba ce qu'était devenu le gâteau, celle-ci lui répondit que ce n'était pas grave, et qu'elle avait un autre cadeau pour sa mère et pour lui. Et lorsqu'Epaminondas repartit chez lui, elle lui offrit un gros morceau de beurre bien frai.
­Fais-y bien attention pendant le voyage, Epaminondas!
Ne t'inquiète pas, Marraine Ba, j'y ferais très attention!

­Et Epaminondas fit ce que sa mère lui avait conseillé pour le gâteau. Une fois sortit du village, à l'ombre d'un Baobab, il enveloppa soigneusement le beurre dans du papier fin qu'il avait emporté, déposa délicatement le papier dans son chapeau, et posa son chapeau sur sa tête. Puis il partit en courant en direction de sa maison.
­Mais il faisait si chaud, ce jour-là, que le beurre se mit à fondre et dégoulina du ppier et du chapeau. Lorsqu'Epaminondas arriva jusque chez lui, il était tout couvert de beurre fondu. En le voyant arriver, sa mère écarquilla les yeux et s'écria
­Epaminondas! Que m'apportes-tu là?
Un gros morceau de beurre bien frai que m'a donné Marraine Ba!
Epaminondas, Epaminondas! Qu'as-tu fait du bon sens que je t'avais donné à ta naissance? Pour transporter un morceau de beurre, tu dois l'envelopper dans de larges feuilles fraiches et, tout au long du chemin, le tremper souvent dans l'eau de la rivière, pour qu'il refroidisse et n'ai pas le temps de fondre. Tu as bien compris?
Oui maman.


­Lorsqu'Epaminondas retourna chez sa marraine, il pleuvait tellement fort que la terre du chemin s'était transformée en torrent de boue.
­Cette fois-ci, Marraine Ba avait voulu faire un beau cadeau à Epaminondas, et lui offrit yb petit chien blanc, très beau et très gentil, qui sauta dans les bras du petit garçon et lui donna un grand coup de langue.
­Merci, merci, cent fois merci, Marraine Ba!
Surtout, tu feras bien attention à ne pas le fatiguer pendant le voyage du retour, Epaminondas.
Sois tranquille, Marraine Ba, j'y ferais très attention!

­Et lorsqu'Epaminondas rentra chez lui, il fit ce que sa mère lui avait conseillé à propos du morceau de beurre. Il cueillit de grandes feuilles d'arbre, y enveloppa délicatement le petit chien, attacha le paquet avec des lianes, et le laissa plusieurs fois et longtemps tremper dans l'eau de la rivière, si bien que le petit chien but plusieurs fois la tasse et prit froid à cause de son poil qui n'arrivait pas à sécher. Et lorsqu'Epaminondas tendit le petit chien bien mal en point à sa mère, celle-ci s'écria en écarquillant les yeux
­Epaminondas, que m'apportes-tu là?
C'est un petit chien que m'a donné Marraine Ba!
Epaminondas, Epaminondas! Qu'as-tu fait du bon sens que je t'avais donné à ta naissance? Ce n'est pas ainsi que l'on transporte un animal! Pour bien emmener un petit chien, tu le poses à terre, tu prend une longue corde que tu attaches d'un bout à son cou, et tu tiens l'autre bout pour le laisser courir lui aussi. Tu m'as bien compris?
Oui maman.


­La fois suivante, Alors qu'Epaminondas rendait visite à sa marraine, le vent soufflait fort sur la plaine, et le petit garçon était couvert de poussière. Pour ne pas salir la maison de Marraine Ba, il alla au puit et se versa un grand seau d'eau sur la tête. Marraine Ba était très contente, et lorsqu'il repartit, elle lui offrit une belle galette de pain tout doré et tout chaud, qui venait de finir de cuire.
­Fais-y bien attention, Epaminondas!
Ne t'en fais pas, Marraine Ba!

­Et lorsqu'il sortit du village, Epaminondas posa la galette de pain par terre, et comme sa mère le lui avait dit pour le petit chien, il prit une liane qu'il attacha autour du pain. Puis, tenant l'autre bout de la liane, il courut vers sa maison. Et les galettes, trainant dans la poussière, se fendillèrent, s'émiéttèrent et se salirent. Et lorsqu'il les tendit à sa mère, celle-ci écarquilla les yeux et s'écria
­Epaminondas, que m'apportes-tu là?
Du bon pain tout doré que ma donné Marraine Ba.
Epaminondas, Epaminondas! Tu n'as aucun bon sens et tu n'en auras jamais! Il va falloir que j'aille parler à Marraine Ba, mais toi, tu ne viendras pas avec moi! Tu vas rester ici, et tu n'en sortiras pas!
Oui maman...


­La mère d'Epaminondas partit bientôt chez Marraine Ba comme elle l'avait annoncé. Mais elle était un peu moins fâchée et accepta qu'Epaminondas puisse sortir dans le village jouer avec le petit chien blanc pendant qu'elle serait absente. Avant de partir, toutefois, elle sortit du four six pâtés qu'elle venait de cuire.
­Je les dépose juste devant la porte pour qu'ils puissent refroidir. Aussi, tu feras bien attention en passant dessus, quand tu sortiras, d'accord?
Oui maman.

­Et lorsqu'Epaminondas sortit de la maison, il se dit Je vais être très obéissant et faire très attention en passant sur les pâtés. Et avec une extrême attention, Epaminondas sortit de la maison en posant fermement un pied, puis l'autre, sur chaque pâté.

­Le soir venu, alors que le soleil disparaissait derrière l'Horizon, Epaminondas alla trouver le Sorcier qui méditait au pied du Baobab.
­Que veux-tu donc, mon garçon?
Je voudrais savoir pourquoi, alors que je suis toujours très obéissant, je me fais toujours gronder par ma maman.

­Et Epaminondas raconta toute l'histoire au sorcier. Aussitôt, celui-ci se mit à rire, et tapota la tête du garçon du bout de son bâton.
­Qu'as-tu donc là-dedans, Epaminondas? A quoi te servent tes yeux, si tu ne sais pas utiliser ton bon sens?
­Et comme Epaminondas le regardait stupéfait, le sorcier ajouta Ne cherche donc plus à obéir sans réfléchir: C'est à chacun de trouver comment il doit agir. Maintenant, va en paix, le coeur tranquille, et l'esprit éveillé.
Souricette
­Il était une fois une petite souris qui s'appelait Souricette, et qui vivait dans un champ avec toute sa famille: Son père, sa mère, et tous ses grands frères et toutes ses grandes soeurs. Car Souricette était la plus jeune et la plus jolie petite souris de tout le champ.
­Un jour, Souricette se promenait dans le champ, et elle aperçut une noisette. Une grosse, très grosse noisette. Alors, Souricette voulu prendre la noisette pour la ramener chez elle. Et elle s'approcha. Mais quand elle voulut attraper la noisette, elle donna sans faire exprès un petit coup dedans, et la noisette se mit à rouler.
­La noisette s'arrêta un peu plus loin, et Souricette s'approcha encore. Mais lorsqu'elle toucha la noisette, celle-ci se mit encore à rouler un peu plus loin. Et Souricette s'approcha encore, et la noisette recommença à rouler. Et à chaque fois que Souricette tendait les bras pour prendre la noisette, la noisette recommençait à rouler, et chaque fois, la noisette s'arrêtait un peu plus loin. Si bien qu'au bout d'un moment, Souricette et sa noisette n'étaient même plus dans le champ où vivait la famille de Souricette, mais dans une sorte de petite forêt que Souricette ne connaissait pas.
­Et Souricette se dit que maintenant qu'elle était arrivée là, il fallait quand même qu'elle reparte avec sa noisette. Alors elle tendit encore une fois les bras pour attraper la noisette, et cette fois la noisette se mit à rouler, à rouler... Jusque sous la racine d'un petit arbre, où elle disparue.
­Souricette, intriguée, couru jusqu'à la racine, et passa dessous. Et là, elle vit un trou creusé dans le sol avec un grand escalier, et sa noisette qui descendait l'escalier marche par marche, en rebondissant. Alors Souricette descendit le grand escalier à la suite de sa noisette. Et tout en bas du grand escalier, il y avait une toute petite porte, et la noisette rebondit trois fois contre la toute petite porte: toc, toc, toc.
­Et alors, la porte s'ouvrit, et un vilain petit monsieur prit la noisette et la cacha derrière son dos. Et alors il regarda Souricette et il lui dit Qu'est-ce que tu fais là, toi? Et Souricette répondit C'est ma noisette que vous venez de prendre! Rendez-la moi! Alors, le petit bonhomme ricana méchamment et dit que maintenant qu'il l'avait trouvé, la noisette était à lui, et qu'il accepterait peut-être de la rendre à Souricette à condition qu'elle accepte de travailler pour lui.
­Souricette accepta et le petit bonhomme la fit entrer chez lui, puis il sortit en fermant la porte à double tour, et la pauvre petite Souricette se retrouva enfermée chez le vilain petit bonhomme, et dû faire tout le nettoyage, et toute la vaisselle de la maison. Et le soir, quand le petit bonhomme revint, Souricette réclama sa noisette, mais le vilain petit bonhomme répondit qu'elle n'avait pas encore assez travaillé, et qu'il lui rendrait peut-être sa noisette le lendemain.
­Et le lendemain matin, le petit bonhomme partit de nouveau en fermant la porte à double tour derrière-lui, et la pauvre Souricette dû encore faire toutes les corvées dans toute la maison. Et le soir, quand elle réclama sa noisette, le vilain petit bonhomme lui dit qu'elle n'avait pas encore assez travaillé et qu'il lui rendrait peut-être sa noisette le lendemain. Et tous les jours qui suivirent, le vilain petit bonhomme partit le matin en fermant sa porte à double tour, et la pauvre Souricette devait encore faire toutes les corvées de la maison. Et tous les soirs, quand le vilain petit bonhomme revenait et que Souricette réclamait sa noisette, il lui répondait qu'elle n'avait pas encore assez travaillé et qu'on verrait le lendemain.
­Mais pendant se temps, pendant qu'elle rangeait tout et qu'elle faisait le ménage, Souricette fouillait la maison, et elle ne retrouvait pas sa noisette. Et un beau soir, elle avait fouillé absolument toute la maison, à l'exception d'un petit placard situé tout en haut d'une très, très grande armoire, et que Souricette, même montée sur un meuble, n'arrivait pas à atteindre. Alors, ce soir-là, Souricette glissa quelques brindilles dans la serrure de la toute petite porte, et le lendemain matin, quand le petit bonhomme s'en alla, il ferma la toute petite porte à double tour, mais dans le vide. La toute petite porte était toujours ouverte, et Souricette pouvait sortir.
­Alors, Souricette prit toutes les tables, toutes les chaises qu'elles pouvait trouver, et construisit un très grand échafaudage pour arriver jusqu'au tout petit placard. Et lorsqu'elle ouvrit la porte du petit placard, Souricette retrouva sa noisette.
­Alors vite, vite, Souricette prit sa noisette dans ses mains, descendit du grand échafaudage, et courut vers la porte. Elle courut, courut, pour remonter le grand escalier et sortir de sous la racine du petit arbre. Elle courut, courut, jusqu'à sortir de la drôle de petite forêt qu'elle ne connaissait pas, et jusqu'à revenir dans le champ où vivait sa famille.
­Et lorsqu'elle revint chez elle, tous ses frères et soeurs furent très content de la revoir, car cela faisait très longtemps qu'elle était partie. Souricette, Souricette, où étais-tu passée? On te croyais morte! Et Souricette leur raconta toute l'histoire.
­Alors, le plus grand de ses frère lui dit Allez, Souricette, maintenant, il faut que tu ouvres ta noisette. Et Souricette prit la noisette et donna un coup de dents dedans, et la noisette s'ouvrit en deux comme une boite, et dedans se trouvait... Un joli collier pour Souricette!
Décade et Décénie
­L'histoire que je vais vous conter maintenant est celle d'une Princesse aussi belle qu'intelligente, mais qui, au désespoir de son peuple et de ses parents, semblait s'intéresser bien davantage à ses livres qu'à la gent masculine. Rien ne semblait pouvoir la distraire de son envie de s'instruire, et surtout pas l'idée d'un mariage.
­Son père le Roi, cependant, ne cessait de lui rappeler qu'il commençait à vieillir et qu'il souhaitait ardemment pouvoir faire sauter ses petits enfants sur ses genoux avant que l'âge de le démette de son trône, et comment la Princesse pourrait-elle donner naissance à un enfant dont elle ne daignait pas choisir le père? Il ajoutait également que le Royaume devrait revenir un jour à cet enfant, et que, si la Princesse ne se mariait jamais, leur lignée s'arrêterait après elle, et le Royaume entier, faute de souverain, disparaitrait.
­Au bout de longues discussions, la Princesse, enfin, consenti, plus par affection pour son père que par réel intérêt, à envisager une union. Oui mais, dit-elle, à condition que celui qui deviendrait son époux soit un homme capable de la comprendre et de comprendre ses gouts et ses attentes. On fit savoir par tout le pays, et bien même au delà, que la Princesse recherchait enfin un époux, et aussitôt, tous les grands Princes et les grands Seigneurs du voisinage se présentèrent au Palais pour tenter de séduire la belle.
­Il arrive quelques fois qu'une idée qui ne rentre dans l'esprit qu'à reculons finisse tout de même par s'y installer et ne plus vouloir en partir, et c'est ce qui se produisit alors: Lorsque la Princesse vit la très longue liste de ses soupirants, elle se prit à espérer de tout son coeur qu'il s'y trouve un homme qu'elle pourrait aimer et qui l'aimerait autant en retour. Mais comment le reconnaitre parmi tous ces inconnus? Après quelques temps de réflexion, elle trouva ce qui lui semblait être la meilleure des solutions. Elle n'aurait qu'à leur poser, à tous, une question. Une seule. Mais qui la renseignerait autant sur l'étendue de leur savoir que sur leur caractère. Et elle avait précisément en tête la question adéquate.
­Le jour de l'Audience, la Princesse, accompagnée de son père, reçut ses soupirants un par un, et leur posa à tous cette même question: Quelle différence existe-t-il entre Décade et Décennie?
­Le premier d'entre eux, fils d'un grand Duc qui n'avait jamais connu l'échec et ne doutait pas un instant de l'idée que tous ses rivaux s'étaient déplacés en vain, paru choqué en entendait la question. Est-ce là tout ce que vous avez à me demander, Princesse? Une question à laquelle n'importe lequel de mes serfs serait en mesure de répondre! Je vous prie, Princesse, si vous désirez m'éprouver, de trouver une question qui soit plus à la hauteur de mes talents! Il va sans dire que la Princesse le trouva vraiment trop prétentieux, et le congédia sur le champ.
­Le suivant était un prince étranger, habitué depuis longtemps aux arts de la diplomatie, et qui avait pour habitude de garder son éloquence en toute circonstance. Lorsqu'il eut entendu la question que l'on lui posait, il se redressait, un sourire flatteur aux lèvres, et déclara C'est là, Princesse, une question des plus intéressantes, et je vous rend grâce de me l'avoir posé. On peut dire, vous savez, tant de choses sur le sujet, et c'est avec grand plaisir que j'y répondrais du mieux que je le pourrais. Voyez-vous... Mais il continua ainsi, tournant autour du sujet sans jamais donner de véritable réponse, jusqu'à ce que la Princesse, le trouvant trop bavard, ne le congédia à son tour.
­Et c'est ainsi que tous les soupirants, un par un, furent questionnés, et qu'aucun ne donna de réponse qui satisfasse la Princesse, ni d'ailleurs de réponse qui en soit vraiment une. Elle les congédia un par un, si bien qu'il ne resta bientôt plus auprès d'elle que son père le Roi, et le jeune Valet qu'elle avait choisi pour accueillir et renvoyer tous les princes, parce qu'ils avaient grandis ensemble et qu'il était celui qui l'accompagnait le plus souvent dans lorsqu'elle se plongeait dans ses livres.
­La Princesse commençait à désespérer de trouver jamais un homme qui lui conviendrait et le Roi, triste de chagrin de sa fille et pour détendre l'atmosphère, demanda sur le ton de la plaisanterie au Valet s'il connaissait, lui, la différence existant entre Décade et Décennie. Le Valet, alors, s'inclina devant le Roi, puis devant la Princesse, et déclara simplement: Dix jours, dix ans. Qu'importe le temps? Mon Amour attend.