Chapitre Quatorzième: Nouvelles dispositions.
Mordred.
Lorsque Galaad et Mordred eurent tous deux atteint l'âge de douze ans, le Roi ordonna que leur apprentissage fut prit en charge par les meilleurs en leurs domaines. Le fils du Chevalier et le fils de la Sorcière se trouvaient en effet compter en haute place de cette nouvelle génération, et, espérait-il, l'un d'eux serait peut-être celui qui mettrait un terme à la Quête.
L'on fit alors venir les deux jeunes gens jusqu'au Château, car l'un résidait au Royaume d'Armor, pays de ses ancêtres, et l'autre aux côtés de sa mère, en Avalon. Là, on les confiat à la charge de leurs nouveaux maîtres: Sire Percival devrait leur apprendre le maniement de l'épée et l'honneur des chevaliers, et l'Enchanteur lui-même leur transmettrait son immense savoir.
Dès lors, il apparu qu'à Galaad seul revenait le titre de meilleur des Chevaliers. S'ils rivalisaient à l'épée comme si rien ne les départageait, et si le sang maternel dotait Mordred d'un redoutable talent magique, ce dernier cependant avait prit en héritage les travers de la Sorcière, et accordait davantage d'importances aux rites et aux croyances payennes qu'à la Quête.
Il ne voulu d'ailleurs pas en démordre alors qu'il grandissait, et si Galaad apprenait les arts et les manières les plus nobles avec tout le soin qu'il convenait à son rang, Mordred avait d'autres penchants, préférant la compagnie de jeunes camarades de jeux à celle des prêtres et des chevaliers. À l'âge de quinze ans, alors que Galaad préparait son adoubement, lui se mettait à courir les jupons.
Cal Jerreos, extrait de "la Quête du Sangreal", 0026.
Forêt de Leeshan, Tieffla, 25 jour de Danael 1404
Les échos de la bataille étaient passés, mais ceux de la fête également. La nouvelle de la disparition brutale de Shadefire avait emporté l'esprit détendu des membres de la Guilde. Une sorte de tension s'était emparée de la forêt. Si l'homme qu'on leur avait enlevé avait été un modèle pour les plus jeune et un excellent camarade pour les "anciens", dont nombre d'entre eux avaient eu la vie ou la liberté sauvée par ses meilleurs coups d'éclats, l'attaque, surtout en ce jour, leur rappelait également que le temps de l'insouciance touchait à sa fin. La menace pressentie par Pandore, et contre laquelle les trois chefs de la Guilde les avaient mis en garde longtemps avant l'arrivée de la jeune Kandhrane, se révélait beaucoup moins lointaine que ce qu'ils avaient espéré.
Seul parmi tous, Beholder conservait son calme habituel et ne semblait pas abattu le moins du monde. Ce qui, connaissant son aptitude habituelle à aprécier les surprises, était d'autant plus déroutant. La situation devait cependant lui sembler suffisamment grave pour lui faire faire ce qu'il ne faisait d'ordinaire jamais: prendre place sur le podium improvisé et s'adresser lui-même à l'ensemble des présents.
Oui, messieurs. Oui, l'heure est grave. Mais cependant, peut-être pas autant que vous semblez le croire. Il marqua une pause, observant ses auditeurs. Croyez-vous vraiment qu'ils aient pu nous frapper à proximité de l'une de nos meilleures bases sans que nous le voyions venir ? Sans que je le vois venir ?
Nous ignorions, il est vrai, quand et où se situerait exactement cette attaque, et qui de nous trois serait visé. Nous ignorions que les Shalezzims choisiraient le mauvais camp et s'allieraient à nos ennemis. Mais nous savions que ceux-ci allaient venir chercher un otage.
Shadefire a choisi ce qui vient de lui arriver. Nos adversaires croient nous avoir atteint à la tête... mais ils n'ont fait que faire entrer le plus redoutable de nos renards dans leur poulailler. À nous de faire en sorte que tout se passe tel qu'il l'avait prévu.
Un long silence suivit cette déclaration. Angel, à son tour, vint poursuivre la harangue. Ils l'ont prit vivant. Ils auraient pu le tuer, mais ils l'ont prit vivant. Est-ce donc pour mettre un terme à son existence en captivité ? S'ils avaient voulu sa mort, ils avaient toutes les raisons de le faire sous nos yeux.
Non, nous pouvons être persuadés qu'ils veulent le garder vivant. Aurais-je alors besoin de vous rappeler de qui nous parlons ? Savez-vous seulement de combien de prisons Shadefire s'est sorti, seul et sans aide ? Ayez confiance: nous entendrons bientôt de nouveau parler de lui, et il y a fort à parier que ce soit de sa propre bouche.
Mais d'ici-là... Puisqu'il voulait que cette fête soit aussi réussie que possible pour chacun d'entre vous, tâchons de faire en sorte que ce soit le cas. Et lorsque la nuit tombera, nous ferons honneur à la dernière décision dont il nous ait fait part!
Camp Shalezzim, Tieffla, 27 jour de Danael 1404
Deux jours s'étaient écoulés depuis la fin de la fête. Même s'il n'avait eu que les échos lointains d'un feu d'artifice qui avait pourtait dû être grandiose, Seth était plutôt content d'être resté enfermé au camp. Bien plus que la solitude, qui le réconfortait, l'inactivité de sa mission l'épuisait. Ici, au moins, il avait de quoi s'occuper –ne serait-ce que s'exercé au maniment de son arme sur un terrain d'entrainement adapté.
Aussi, alors que les autres équipes commençaient à reprendre leurs activités, s'efforçait-il de chercher le courage de reprendre la sienne. La nuit était tombée, et il avançait simplement dans l'ombre, écoutant ses camarades discuter entre eux. Les propos d'un groupe d'hommes d'âge mur, non loin, au coin d'un feu, lui firent soudain dresser l'oreille.
Les deux qui restent essayent encore de fanfaronner comme si tout était normal... Ils disent que ce type savait qu'on allait venir, et qu'il s'est laissé prendre quand même. Et le pire, c'est que les autres ont l'air d'y croire.
– Quel genre de gens sont-ils, à prendre leur chef pour un pareil idiot ?
– S'il est à la hauteur de sa réputation, je doute qu'il soit si idiot que ça.
– N'empêche qu'ils préfèrent croire que leur chef s'est suicidé plutôt que d'admettre qu'on a pu les prendre par surprise. Qu'est-ce que les Garùns peuvent bien avoir dans la tête pour se méfier d'eux ?
Le prisonnier. Son arrivée avait provoqué de nombreuses réactions, mais la plupart de ceux à qui Seth avait parlé ignoraient qui il était et les raisons de sa présence. Ceux-là semblaient en savoir plus long, et l'adolescent eu soudain envie que ce soit son cas également.
La tente dans laquel était retenu le prisonnier n'était pas gardée. Sans doute, certains qu'il n'y avait aucun risque, ceux chargés de cette tâche s'étaient éloignés pour se livrer à d'autres activités. Après avoir rapidement vérifié que personne ne regardait dans sa direction, Seth se dit en pénétrant dans la tente qu'il ne leur en voulait pas le moins du monde. Il connaissait l'ennui de surveiller quelqu'un qui ne fait rien d'intéressant.
L'intérieur n'avait à première vue rien de franchement exceptionnel, à part la cage qui occupait l'un des côtés. De l'autre, une simple table, sur laquelle était posée une lampe allumée, un siège qui semblait plutôt confortable, et rien d'autre. Et dans la cage... Gregan ?
Assis par terre, l'homme releva sa tête et posa les sombres flammes de son regard sur l'adolescent, le dévisageant. Seth. Il marqua une pause avant de reprendre, pour lui-même Seth en Shalezzim... Daniel avait donc raison, finalement.
– Daniel ?
– Oh, quelqu'un que tu rencontreras probablement d'ici quelques temps. Ce n'est pas important pour l'instant.
D'un mouvement vif, le chef de guilde s'était mis sur ses pieds. L'adolescent s'était approché de la cage. Pourquoi es-tu là ? Qu'est-ce qu'ils te veulent ?
– C'est une longue histoire, et je ne crois pas que nous ayons le temps d'en parler. Tu te rappelles d'Esperkand ?
– Votre guilde, oui... Maman en avait fait partie, je crois.
– Eh bien, il se trouve que tes... nouveaux employeurs ne nous apprécient pas particulièrement. Et ils ont pensé que me séparer des autres était un moyen d'y remédier.
Seth avait tiré un couteau de sa ceinture et l'approchait de la serrure de la cage. Shadefire l'arrêta vivement. Que fais-tu ?
– Je te sors de là. Je peux pas les laisser t'emmener.
– Oh que si, tu peux. Si tu me libères maintenant, tu ne feras qu'attirer des soupçons sur toi. Si tu veux vraiment m'aider, il y a d'autres choses à faire.
L'adolescent et son ancien mentor se dévisagèrent un instant mutuellement, puis Seth prit la main de Gregan et y placa son couteau Je ne vais au moins pas te laisser désarmé. Le Chef de guilde saisit l'arme, la fit tourner entre ses doigts, puis disparaître comme à son habitude. Merci.
Le jeune Shalezzim s'approcha de l'entrée de la tente et s'assura vivement que personne n'était aux alentours. Si je ne peux pas te sortir de là, alors qu'est-ce que je peux faire d'autre pour t'aider ?
– Prendre contact avec ceux de la guilde. Les rassurer à mon sujet. Si tu peux toi-même sortir de ce camp, bien sûr.
– Pour ça, ça devrait aller. Oh... Ils ont l'air d'être plutôt bien renseignés sur ce qui se passe chez vous...
– Nous nous doutions qu'ils nous avaient envoyé un espion, mais nous n'avons pas réussi à le démasquer. Tu pourrais peut-être, toi, tu les connais mieux que nous...
– Je connais quelques Shalezzims, mais c'est tout.
– C'est déjà mieux que rien.
Ils restèrent silencieux un instant, puis Seth reprit Mais pourquoi est-ce qu'il faut que ça se passe comme ça ?
– On joue avec les cartes que le destin nous donne, Seth. Si la situation ne te plait pas, tu peux essayer de la changer.
– Pourquoi est-ce que les Garùns vous en veulent ? Pourquoi est-ce qu'ils sont venus nous chercher ?
– Tout ce que je suis sûr de savoir, je l'ai apprit de personnes à qui je ne peux plus poser de questions depuis aussi longtemps que toi. Le reste n'est que suppositions de ma part.
– Ça a... à voir avec Maman, n'est-ce pas ? Et avec moi ?
La voix du Chef de guilde se fit plus grave, plus sérieuse. Est-ce que tu te rappelles du nom d'Enabas Feogan ?
– C'est celui de mon géniteur... et du meurtrier de ma mère.
– Et de l'un des plus grands sorciers du clan Urmahn. C'est l'homme qui a réuni tous les clans Garùns pour les lancer à l'assaut de l'Empire. Oui, Seth, cette histoire a énormément à voir avec ta mère et toi. Il se tût un peu avant d'ajouter Et ne vas pas croire que tu peux le ramener du côté lumineux. Il est...
– Mauvais jusqu'à la mœlle, je sais. Il n'y a jamais eu de bon en lui.
Seth !
Peu après que l'adolescent soit sorti de la tente-prison, son camarade d'entrainement le rejoignit. Dans l'obscurité du camp, il ne semblait y avoir personne aux alentours. Tu as parlé au prisonnier ?
– Non. J'ai parlé à un vieil ami.
– Seth... Qu'est-ce que tu... ?
– Je ne suis pas un Enfant de Shale, moi, Zaahn. Pas comme vous. Je suis un gamin que vos prêtres ont ramassé sur la route. Il pointa la tente du doigt Et le type dans cette cage est ce qui, pour moi, se rapproche le plus d'un membre de ma Famille. Je ne dis pas que je ne crois pas en Shale ou quoi que ce soit comme ça. J'ai lu tous vos livres sacrés, et il y a plein de choses bien dedans. Mais ce que Xarz et les Garùns sont en train de nous faire faire, ça n'y ressemble pas du tout, alors si je dois choisir entre ce qui reste de ma vie d'avant et des préceptes que vous n'avez même pas l'air de suivre, mon choix est déjà fait!
Les deux adolescents se regardèrent un instant, puis Zaahn baissa les yeux. Je... Je ne vais rien dire. Je ne t'ai pas vu, je ne suis au courant de rien. Mais tu ferais mieux d'éviter de dire ce genre de choses devant n'importe qui...
Baarn Thor, le lendemain.
Lawn, est-ce que je peux te parler ?
Ryan avait choisi d'aborder la jeune Corannéane au détour d'un couloir peu fréquenté de la Cité Secrête, alors qu'ils étaient seuls, et le ton de sa voix avait quelque chose d'étrange. Qu'est-ce qu'il y a ?
– Tu m'as dit que Seth... était parmi les Shalezzim, non ?
– Et si je l'avais dit ? Semblant s'attendre à entendre quelque chose de désagréable, l'adolescente avait répondu du ton le plus froid et cassant qu'elle avait pu trouver. Le Jihdéan hésita, puis poursuivit.
Eh bien, je... Ça fait plusieurs jours que j'y pense. Depuis l'attaque, en fait. Les pirates comme ton père ont l'air d'être plutôt en bons termes avec votre Maejùnn, qui est le cousin de notre Yggdrasil. Et la Guilde d'Esperkand est plus ou moins alliée aux pirates.
– Et alors ?
– Alors je crois que dans les évennements qui vont suivre, la Guilde est dans ce qui se rapproche le plus du camp d'Yggdrasil... de mon camp. Et les Shalezzims ont bien l'air d'être dans l'autre.
La jeune femme le dévisagea sans répondre, mais son regard noir indiquait qu'elle savait parfaitement ce qui allait suivre.
Yggdrasil m'a plus ou moins charger de retrouver Seth, parce qu'il devait avoir un grand rôle à jouer. Mais il n'a pas donné plus de précisions. Il n'a pas dit quel était ce rôle, ni ce que je devais faire quand je l'aurais retrouvé.
– Et toi, avec ta tête de pioche qui ne voit que tout en noir ou tout en blanc, tu t'es dis que Seth pourrait être notre ennemi, et qu'il faudrait que tu le tues.
Un silence géné s'installa avant qu'il n'acquièce. J'espère que non, mais... il faut garder cette possibilité à l'esprit... Si jamais...
– Tais-toi, et regarde-moi! Elle l'attrappa par le menton et lui fit redresser la tête, insistant sur chaque mot Seth est mon ami. Retirant sa main, elle recula de quelques pas Si tu tentes de lui faire quoi que ce soit avant que j'ai pu passer un moment seule avec lui, je jure sur l'Océan que c'est moi qui te tuerais. Et elle tourna les talons, sans prêter attention à ses tentatives de la rappeler.
Ignorant ce qui se passait quelques couloirs plus loin, Angel, Eiko, le Professeur Relm et Pandore étaient réunis dans l'une des salles de travail de cette partie de la cité souterraine. Avec tous ces évennements, nous n'avons pas eu l'occasion d'en reparler plus tôt, mais Shadefire suppose que nos jeunes gens vont avoir des armes à trouver, et celle qui nous était venue à l'esprit pour cette jeune demoiselle –à savoir le Sceptre d'Urdan Necromant– ne semble pas lui convenir...
– Ce en quoi elle a parfaitement raison, ne vous en déplaise. Le Professeur Relm s'était levé, s'exprimant comme si elle donnait court à ses étudiants Voyez-vous, nous n'avons ordinairement pas pour habitude d'encourager que l'on accorde une valeur émotionnelle propre aux objets, mais celui-ci est une exception. Certes, il s'agit de l'un des artefacts magiques les plus célèbres –bien que, comme elle vous l'a probablement dit elle-même, sa notoriété ne soit pas gage de puissance, car la baguette ne fait pas le magicien–, mais c'est également l'arme qui causa le plus de dégât à tout ce que notre Peuple et notre Guilde représente. C'est à peu près comme si vous demandiez à votre jeune prince Jihdéan de manier l'arme de Zanar, ou à votre jeune Pirate de porter l'uniforme et le pavillon des marins-soldats d'Arnamie. Quel seraient, selon vous, leurs réactions ?
– Je comprends... je dois vous avouer que, pour ma part, je me suis plus intéressé à des personnalités telles que celle de Stanth. Urdan était véritablement si terrible ?
– Oui. La voix d'Eiko était teintée d'émotion, on eût dit qu'elle allait se mettre à pleurer. Oui, il était aussi terrible qu'on le dit, et plus encore. J'ai vu de mes yeux certaines de ses actions, et leur souvenir peuple encore mes cauchemars après mille quatre cent ans. Son instrument de mort aurait dû être détruit, et si vous souhaitez l'exhumer de sa prison actuelle, j'ose espérer que ce sera pour mettre enfin un terme à son existence.
– Bon... Compte tenu de la situation actuelle, laissons-le où il se trouve pour l'instant, nous réfléchirons à cette option plus tard. Dans ce cas, je suppose qu'il ne me reste plus qu'à m'en remettre à vos lumières: admettant que Pandore doive obtenir une arme spéciale, comme cela semble être le cas de plusieurs de ses camarades, en verriez-vous une qui lui conviendrait ?
– Admettant cela... Eh bien, que savez-vous des Sorciers d'Avalon ?
Angel marqua une pause avant de répondre au professeur Relm. Guère plus que ce que tout le monde sait depuis le roman de Jerreos... Si ce n'est qu'il me semble que la tradition Rysianne en a conservé une autre version, et que je doute que vous pensiez au bâton de l'Enchanteur.
– En effet. Les romans de Jerreos et de ceux qui s'en sont inspirés n'ont conservé qu'un unique point de vue sur cette légende. La plupart des personnages qu'ils ont présentés comme mauvais n'avaient pour seul "tort" connu que de ne pas se préoccuper de leur fameuse quête sacrée. Morgane Lafaye, par exemple, reine d'Avalon, est présentée comme un personnage des plus noirs dans leurs récits, mais pas dans la tradition Rysianne.
– Je comprends. Mais où voulez-vous en venir ?
– Au fait qu'Avalon ait été l'un des plus haut lieux de magie de toutes nos légendes. Il se trouve que tous les artefacts originaires de ce royaume, le bâton de l'Enchanteur y compris, s'ils ont jamais existé, ont disparu en même temps que lui, à l'exception d'un seul.
– Lequel ?
– La baguette que le jeune Mordred aurait emporté en quittant Avalon, présent de sa mère pour qu'il apprenne à utiliser la magie. Elle serait demeurée dans le château de son oncle.
Angel sourit. Voilà qui s'apparente plus à une chasse au trésor qu'à un cambriolage. Ça devrait plaire à notre petite Pirate. Bien, dans ce cas, il va nous falloir un peu plus de préparation que prévu. Nous allons retarder le départ de nos Cadets de quelques jours.
Marrihm, Tieffla, le même jour
On est là pour quoi, au juste ?
Ransen leva les yeux vers Pénombre Les Shalezzims et les Garùns semblent avoir disparu de la circulation depuis l'enlèvement, mais Behold pense qu'on a des chances d'en repérer quelques uns dans le coin. J'en sais pas plus, mais je suppose qu'il apprécierait de pouvoir avoir lui-même quelques otages pour pouvoir négocier en cas de besoin.
Le cadet fit mine de pencher de nouveau la tête vers le lacet qu'il faisait semblant de renouer. En réalité, son regard se porta vers le marchand qu'il s'était arrêté pour observer.
Comme souvent après les fêtes, le marché de Marrihm était particulièrement peuplé, les habitants de la capitale Tiefflane cherchant à profiter des remises sur les invendus. Dans ces conditions, quelques jeunes gens comme eux pouvaient facilement passer inaperçu dans la foule.
Jed, comme Astrid, parcouraient les étals, faisant semblant de chercher au hasard. La jeune femme avait déjà repéré Novan, qui avait pour l'occasion sortit son matériel d'artiste et semblait fort occupé à prendre des croquis de la fontaine occupant le centre de la place, et quelques autres cadets dont elle avait oublié le nom.
Tania fut la dernière du groupe qu'elle identifia clairement: vêtue comme elle l'était, l'adolescente passait aisément pour une apprentie marchande ayant échappé un temps à son travail. Un groupe de gamins l'avaient enrôlé de force dans une bataille de boules de neiges. Et à peine Pénombre avait-elle repérée son amie que celle-ci, manquant la cible qu'elle faisait semblant de viser, frôla la voleuse d'un de ses projectile.
Fais attention, je pourrais riposter.
– Ah, mais, je n'attends que ça, tous ces gamins visent aussi mal que moi.
Après avoir échangé un sourire complice, les deux jeunes femmes reprirent chacune leur activité.
Au bout de quelques instants à parcourir les étals en regardant davantage les passants que les marchandises, Astrid cru remarquer quelque chose d'étrange. Un objet de petite taille était accroché sur un mur proche, suffisemment peu visible pour que personne d'autre n'ait semblé le remarquer.
Intriguée, elle s'approcha aussi discrètement qu'elle le pouvait. Il s'agissait d'une sorte de broche, de laquelle dépassait un morceaux de papier. Sur lequel était dessiné un symbole qui lui parraissait familier. Décrochant la broche du mur, elle déplia la feuille: c'était l'un des sceaux de Shadefire, une marque qu'il laissait pour identifier ses messages.
Son cœur bondit dans sa poitrine, et elle se pencha sur l'écriture –qui ne semblait pourtant pas être celle du chef de guilde. Le message était court.
« Ai repéré quatre d'entre vous.
Ils vous ont probablement tous trouvé.
Sont deux Garùns. À l'entrée de la ruelle, en face. »
Elle leva instinctivement les yeux: deux individus se tenaient effectivement à faible distance d'une ruelle s'ouvrant exactement à l'autre bout de la place, qui se déplacèrent hors de son champ de vision dès qu'elle les eût trouvé du regard. Elle chercha de nouveau Jed, mais celui-ci avait disparu. Novan, en revanche, était toujours près de la fontaine, et Tania venait de prendre ses distances d'avec le groupe de gamins, comme pour souffler un peu. Elle les prévint rapidement par la pensée.
Tu crois qu'ils t'on repéré ?
– Presque sûre. Mais on peut quand même leur tendre un piège. Suivez-moi à distance.
Et, après que ces camarades aient mentalement acquiécé, elle s'avança résolument vers la ruelle en question.
Une impasse.
La ruelle dans laquelle elle venait de s'engager n'avait pas de sortie de l'autre côté. Et le temps qu'elle s'en rende compte, les deux hommes l'avaient rejoint, bloquant le passage.
Laisse-toi faire, mignonne, ça vaut mieux.
– Eh, qu'est-ce que vous... ?
– Inutile de jouer ton numéro. Vos incapables de chefs feraient mieux de ne pas envoyer les mioches à leur place...
Les deux hommes venaient de sortir chacun un couteau. Pénombre recula, et ils s'avancèrent au même rythme, s'éloignant de l'entrée de la ruelle.
Tu espères quoi ? Gagner tu temps ? Tes copains n'arriveront pas assez vite pour te sauver...
– Que tu crois.
Avant que les hommes aient pu réagir à la réponse de Novan, un ange identique à celui qui décorait la fontaine s'était matéralisé devant eux, qui les envoya rouler au sol en deux coups. Le jeune homme se précipita pour relever son amie.
Toujours avoir un bon dessin sur soi
Mais son clin d'œil s'effaça lorsqu'il se rendit compte qu'en focalisant son attention sur Pénombre, il avait cessé de maintenir sa créature en vie, et que celle-ci avait disparue en fumée. Les deux hommes s'étaient relevés, leur bloquant l'issue.
Comme c'est mignon, ils viennent se faire tuer à plusieurs.
L'un des deux Garùns se lança à l'assaut, et si Pandore n'avait pas eu le réflexe de sortir son bâton-machine, lequel se déploya aussitôt en bouclier, le couteau lui aurait traversé le corps. Semblant à peine surpris, l'homme se remit en position de combat.
Fallavilina! Les grains de lumières fusèrent depuis l'entrée de la ruelle. Tania était arrivée à son tour, mais le deuxième homme s'était déjà retourné contre elle, prêt à la tuer d'un simple geste. Les trois adolescent réalisèrent alors seulement qu'ils avaient beau être plus nombreux, aucun d'eux ne savait suffisemment se battre pour pouvoir espérer prendre le dessus facilement.
Une mêlée confuse s'engagea, Astrid tentant de se protéger et de protéger Novan en maniant son arme du mieux qu'elle pouvait, tandis que Tania usait de tout son arsenal magique pour tenter de venir à bout de son adversaire, qui semblait ne pas s'en soucier le moinds du monde.
Et puis, juste au moment où Novan parvenait à rassembler suffisamment ses esprits pour refaire apparaître son ange de pierre, une autre silhouette fit irruption sur le champ de bataille. Entièrement vêtu de sombre, jusqu'à la capuche qu'il portait, il s'était laissé tombé depuis le toit. Alors que l'ange commençait à affronter le Garùn s'en prennant à Pénombre, le nouveau venu se jeta contre celui qui attaquait Tania.
L'échange de coups qui suivit fut assez difficile à suivre, mais au final la jeune voleuse était parvenue à assommer son adversaire pendant que celui-ci était occupé par l'ange, et l'inconnu, bien qu'ayant manifestement des aptitudes au combat nettement plus réduites que son adversaire, était également parvenu à détourner suffisamment ses esprits de Tania pour que celle-ci puisse enfin trouver un sort capable de l'assomer.
L'inconnu remit vivement la capuche qu'il avait perdu dans la bataille, n'ayant laissé aux cadets le temps de voir de son visage qu'une mèche de cheveux couleur de saphir.
Aux Cinq-Chopes. Demain, à onze heures. D'un saut brusque, il s'accrocha à quelque chose sur le mur et escalada rapidement le toit, disparaissant par le chemin par lequel il était venu.
Aux Cinq-Chopes ?
– C'est un Café-Théâtre pas très loin d'ici(1), je crois. Piège ou rendez-vous ?
– Je suppose qu'il ne nous a pas sauvé la vie pour nous tendre un piège... Mais Behold sera sûrement d'un autre avis. En attendant, il faut qu'on trouve Jed et les autres avant que ces deux-là ne se réveillent.
Notes
(1) Dans le district du Pont, à côté de l'échope du tanneur.